L'intégration financière : risque ou opportunité pour les pays en développement ?

L’intégration financière des pays en développement est censée favoriser leur rattrapage. Mais l’ouverture aux mouvements de capitaux, lorsqu’elle est dérégulée, peut fragiliser les économies en question et faire peser le risque de crises financières.

L’intégration financière des pays en développement est censée permettre leur « convergence »

L’accès aux systèmes financiers peut permettre à des pays en voie de développement de bénéficier de l’épargne des pays déjà développés et donc de mettre en œuvre un processus d’accumulation du capital. Plus encore, en reprenant le modèle de Solow (1956), on peut considérer que la productivité marginale du capital est décroissante et donc que les capitaux devraient se diriger vers les pays en voie de développement qui n’ont pas encore atteint le niveau de capital des pays développés. Ces mouvements de capitaux devraient permettre la « convergence » des pays en développement qui ont désormais accès à une épargne internationale et qui peuvent alors sortir du « cercle vicieux de la pauvreté » que décrivait Nurkse en 1953. Selon ce dernier, certains pays sont « pauvres parce qu’ils sont pauvres », c’est-à-dire qu’ils ne disposent pas de l’épargne nécessaire pour mettre en œuvre un processus autoentretenu d’accumulation du capital. L’accès à l’épargne étrangère peut ainsi permettre de sortir de cette trappe et d’enclencher le développement du pays. Historiquement, comme le souligne Gerschenkron (1962), certains pays se sont ainsi appuyés sur l’accès à des capitaux étrangers pour se développer. Ce fut notamment le cas de la Russie dans le cadre des « emprunts russes » du XIXᵉ siècle. Entre 1895 et 1899, le gouvernement russe a pu mobiliser de l’épargne française et belge (environ 300 millions de roubles) pour financer le développement industriel du pays. En 1914, la moitié des capitaux présents dans le pays sont des capitaux étrangers. En s’ouvrant aux mouvements de capitaux, des pays en développement peuvent ainsi bénéficier d’une épargne internationale et rattraper le niveau de développement des pays déjà développés. Toutefois, lorsqu’elle est trop brutale, l’intégration financière peut devenir un frein au développement et fragiliser les pays en question.

Cependant, cette « convergence » peut ne pas se produire…

Plusieurs facteurs peuvent remettre en cause la convergence des pays en développement. Tout d’abord, les capitaux peuvent être fortement polarisés et ainsi ne pas contribuer au développement de ces pays. En effet, comme le montre le paradoxe énoncé par Lucas en 1990 dans son article « Why doesn’t capital flow from rich to poor countries? », les capitaux ont tendance à rester dans les pays du Nord bien que les rendements marginaux du capital soient plus élevés dans les pays du Sud. Cela peut notamment s’expliquer par la structure institutionnelle, parfois insuffisante, des pays du Sud. Plus encore, une intégration financière dérégulée peut provoquer des crises financières et économiques et ainsi freiner le développement de certains pays. On peut ici donner l’exemple de la crise asiatique de 1997-1998 qui était une « crise jumelle », c’est-à-dire une crise de change et une crise bancaire. La cause principale a été l’entrée excessive de capitaux, suivie d’une fuite massive : en 1998, c’est 100 milliards de dollars qui sortent de l’Asie du Sud-Est. Suite à cela, des économies entières connaissent des récessions de l’ordre de 6 %. On a ainsi pu observer une contraction du PIB en Indonésie de 13,7 points en 1998, de 10 points en Thaïlande et de 6 points en Corée. À Taïwan, la monnaie s’est dépréciée de plus de 45 % par rapport au dollar en trois semaines. Tous ces pays ont dû faire face à une contraction de la demande, à une augmentation de la dette privée et à une perte de confiance de la part des investisseurs étrangers. L’ouverture aux mouvements de capitaux, lorsqu’elle est trop brutale, peut ainsi nuire au développement de certains pays. C’est notamment l’idée que défend Stiglitz (2002) qui souligne l’importance pour un pays en voie de développement de contrôler les mouvements de capitaux.

Une régulation nécessaire

Une régulation des mouvements de capitaux permettrait d’éviter l’occurrence des crises financières qui fragilisent fortement les pays en voie de développement. Une telle régulation pourrait par exemple s’appuyer sur une taxe « Tobin ». Ce dernier, qui souhaitait introduire « quelques grains de sable dans les rouages trop bien huilés de la finance internationale », préconisait de taxer les mouvements internationaux à court terme afin de réduire les actions spéculatives. Cette idée de taxe avait déjà été introduite par Keynes en 1936 au chapitre 12 de sa Théorie Générale !

L’intégration financière était censée être bénéfique aux pays en voie de développement. Cependant, l’ouverture aux mouvements de capitaux peut fortement fragiliser ces pays à long terme en provoquant de graves crises financières. Il semble alors que c’est par la mise en place d’un cadre institutionnel adapté que ces pays pourront profiter pleinement de leur intégration financière.

Pour compléter, n’hésite pas à consulter cette proposition de corrigé sur le sujet : « Les flux internationaux de capitaux contribuent-ils au développement économique ? »