Fiche de lecture : L'économie mondiale 2022 (CEPII)

Chaque année, le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations Internationales) sort un livre revenant sur les grandes thématiques économiques de l’année passée et sur celles qui sont anticipées pour l’année à venir. Lire L’économie mondiale 2022 s’avère très utile pour cibler les sujets brûlants de l’actualité qui peuvent tomber aux concours.

Chapitre 1 – Vue d’ensemble : avec la Covid, en attendant l’après (par Sébastien Jean)

Les politiques économiques ont été indispensables pour sortir de la crise. Elles ont amoindri la chute de la production mondiale. Les États ont d’abord mis en place des coussins d’amortissement. Les aides ciblées sur les ménages et entreprises constituent la majorité des dépenses publiques. Les mesures phares des plans sont celles de chômage partiel et d’extension de l’assurance chômage, les transferts directs, les prêts garantis, les reports de charges et les compensations de pertes d’activité. Les gouvernements misent ensuite sur l’investissement privé et public pour relancer la croissance. Les banques centrales ont réagi avec une politique monétaire accommodante. Elle consiste en la baisse des taux et le programme massif de rachats de titres de dette publique. Cela finance les dépenses publiques, assure la soutenabilité de la dette, protège les entreprises et soutient le prix des actifs sur les marchés financiers pour éviter un effondrement des cours.

Cette crise touche différemment les pays. Les économies asiatiques s’en sortent beaucoup mieux que les économies occidentales, car le virus y a été mieux contenu. Malgré le fait que les plans de relance soient plus importants en Europe et aux États-Unis, la reprise du commerce extérieur a été plus dynamique en Asie du Sud-Est.

Préparer l’après-Covid implique de répondre à plusieurs enjeux. D’abord, une bonne utilisation de l’épargne accumulée par les ménages permettra de relancer l’activité économique. Ensuite, il est urgent de réduire le déficit public. Si les taux d’intérêt remontent dans un futur proche, ils alourdiraient le poids de l’endettement. Enfin, cette crise met au défi la solidarité internationale. Le monde entier doit être immunisé pour sortir de cette situation. Or, malgré l’interdépendance des économies, des tensions entre les pays bloquent l’entente internationale. Alors, malgré l’incertitude majeure et les failles du système soulignées par cette crise, les gouvernements doivent se réinventer.

Chapitre 2 – Vers la fin du dumping fiscal ? (par Vincent Vicard)

La taxation est cruciale. Elle permettra de payer les dépenses liées à la crise sanitaire et de rembourser la dette des États. Malgré une tendance d’avant-crise à la baisse du taux d’impôt sur les sociétés (IS), il remonte progressivement. Un faible taux d’imposition n’est pas soutenable à long terme.

Actuellement, les pays taxent le bénéfice des entreprises présentes juridiquement sur leur sol. Pour attirer les firmes, les pays réduisent alors leur taux de taxation. Cela alimente la concurrence fiscale entre les États et entraîne une baisse généralisée des taux. Les recettes fiscales dues aux entreprises s’amenuisent alors. L’IS représente en moyenne 12 % des recettes fiscales. Pour compenser cette perte, les États augmentent les prélèvements fiscaux d’autres agents économiques, comme les ménages. Cependant, cela augmente les inégalités. En effet, certains ménages payent plus d’impôt, tandis que d’autres, détenteurs de capital, sont moins taxés (Saez et Zucman, 2019). Les faibles taux d’imposition dans certains pays encouragent les mesures d’évitement fiscal. On estime que les pertes fiscales au niveau mondial se situent entre 100 et 647 milliards de dollars.

Cela renforce la volonté de refonder le système obsolète de taxation des multinationales. L’OCDE négocie un nouveau système plus sévère sur l’évitement fiscal et la concurrence fiscale. Le défi est d’intégrer les entreprises du numérique et de distinguer les activités réelles des activités comptables. Les pays ne devraient plus taxer les profits juridiquement réalisés sur leur sol. Il est désormais question de taxer le bénéfice total des multinationales, puis de répartir les recettes fiscales entre les pays selon le nombre de salariés, d’actifs, de ventes ou d’utilisateurs. Cela permettrait une répartition des recettes fiscales en fonction de l’activité réelle des entreprises sur le sol des différents pays, et non en fonction de leur simple présence juridique. De plus, l’OCDE prévoit un taux minimum d’imposition sur les profits des multinationales pour réduire les incitations à l’évitement fiscal. Cela nécessite donc une coopération internationale.

Chapitre 3 – Comment (di)gérer des dettes publiques élevées ? (par Thomas Grjebine)

Le niveau actuel des dettes publiques posera un problème si les taux d’intérêt remontent brusquement. Cela pourrait entraîner le retour d’une crise des dettes souveraines et une éviction de l’investissement privé.

Bref historique de la pensée économique

La perception du déficit budgétaire a évolué dans l’histoire de la pensée économique. Les économistes classiques considéraient la dette comme un fardeau. Pour eux, une hausse des impôts était nécessaire pour la rembourser. Les néoclassiques ajoutent à cette idée le concept d’effet d’éviction de l’investissement. L’endettement public entraîne une augmentation de la demande d’épargne. L’offre d’épargne étant limitée, toute augmentation de la demande engendre une hausse des prix (le taux d’intérêt). Et cette hausse du taux d’intérêt désincite l’investissement privé, nécessaire à la croissance future. Donc, la priorité a longtemps été au désendettement par des politiques d’austérité budgétaire. Ces politiques aggravent cependant parfois la situation, ce fut notamment le cas après la crise de 1929.

Keynes développe sa vision de la dette publique en réaction à la crise de 1929. Selon sa théorie du multiplicateur d’investissement, s’endetter pour investir peut être bénéfique. Effectivement, l’investissement accélère l’activité économique et procure des revenus supplémentaires qui seront consommés ou épargnés. Ces revenus pourront même rembourser la dette, au contraire des politiques d’austérité qui freineraient la demande globale et donc l’activité économique. Plus tard, Evsey Domar écrit dans un article de 1944 qu’il n’est pas nécessaire d’augmenter les impôts pour financer la dette tant que le taux de croissance de l’économie est supérieur au taux d’intérêt auquel l’État s’est endetté.

Le rôle des banques centrales

La question de la dette est aussi à mettre en parallèle avec le rôle des banques centrales. La soutenabilité de la dette dépend de la capacité d’un État à la rembourser et de la souveraineté monétaire des États. Les États-Unis disposent d’un atout à ce sujet. Ils créent leur propre monnaie, ce qui peut servir à rembourser leur dette. La FED a le pouvoir quasi illimité de monétiser la dette (financer les dépenses publiques par la création monétaire). La marge de manœuvre est plus faible pour les pays de la zone euro. Une seule Banque centrale doit gérer 19 dettes souveraines. Les pays s’endettent dans une devise qu’ils ne contrôlent pas. La monétisation des dettes publiques est interdite bien que la BCE les rachète en réalité sur le marché secondaire. 60 % de la dette publique émise par les pays de la ZE entre mars et août 2020 ont été rachetés par leur Banque centrale. Assurer une croissance future est la principale manière de garantir la soutenabilité de la dette.

L’endettement se heurte néanmoins à deux limites : l’inflation et l’endettement dans une devise étrangère. L’inflation entraîne une montée des taux, ce qui est problématique pour l’investissement. S’endetter dans une devise étrangère est dangereux car il faut absolument maintenir la parité. Cela peut déboucher sur des crises de la dette, comme celles qui ont eu lieu dans les pays émergents dans les années 1990-2000.

Chapitre 4 – La stagnation séculaire : inéluctable, évitable ou… acceptable ? (par Axelle Arquié)

Les penseurs d’hier

Alvin Hansen théorise la stagnation séculaire en 1939 dans « Full Recovery or Stagnation? » après la crise de 1929. Elle désigne le moment où une économie mature devient incapable de faire croître son capital privé. Ce phénomène serait inhérent au système capitaliste. Les raisons de cette stagnation sont de moindres innovations technologiques, une croissance démographique plus faible et la fin de la conquête de l’Ouest. Les politiques monétaires ou redistributives seraient inutiles pour relancer la croissance. Seul l’État pourrait agir en investissant à la place des agents privés.

Keynes parle également de stagnation séculaire en 1936, sans la nommer, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Les causes sont l’insuffisance de l’investissement et l’abondance d’épargne. Les entreprises sont moins productives et la demande est faible. Keynes préfère une politique de redistribution à une politique monétaire pour sortir de cette situation. Redistribuer les revenus permettrait de réduire l’épargne des ménages aisés et de stimuler la consommation des ménages les plus pauvres. La demande anticipée et l’investissement repartiraient.

Une analyse plus récente

Plus récemment, Lawrence Summers renouvelle l’analyse de la stagnation séculaire du côté de la demande. Les évolutions structurelles ont conduit à une hausse de l’épargne et à une baisse de l’investissement. L’économie étant confrontée à la « zero lower bound », les banques centrales ne peuvent plus agir de manière conventionnelle pour relancer l’économie. Baisser les taux ne marche plus. Elles mettent alors en place des politiques non conventionnelles ou des politiques de taux long pour agir sur les anticipations des agents. Summers recommande de mettre en place une politique budgétaire massive pour faire baisser l’épargne et augmenter la demande. Il préconise aussi d’augmenter les dépenses publiques en investissant dans des infrastructures.

Selon Robert Gordon, le ralentissement de la productivité cause une insuffisance de l’offre et conduit à cette stagnation séculaire. La nature des innovations d’aujourd’hui est moins susceptible d’assurer des gains de productivité comme celles d’hier. La tendance à la concentration accentue aussi ce phénomène. En effet, les entreprises oligopolistiques peuvent accroître leur profit en augmentant leur marge sans nécessairement être plus productives.

La crise écologique s’inscrit dans cette continuité. La phase de croissance que nous avons connue depuis la révolution industrielle a détruit l’environnement. Néanmoins, les optimistes appellent à l’investissement vert pour construire un futur plus écologique. La transition énergétique peut relancer la croissance et l’État en sera le moteur.

Chapitre 5 – Le keynésianisme doit-il faire l’économie de la courbe de Phillips ? (par François Geerolf)

En 1958, A. W. Phillips démontre dans un article une corrélation négative entre inflation des salaires nominaux et chômage au Royaume-Uni. Plus tard, Solow et Samuelson la mettent au cœur du courant de la synthèse néoclassique. La relation est la suivante : quand le chômage involontaire est élevé, les salaires baissent pour encourager les embauches, et inversement. Les pouvoirs publics arbitrent à l’aide de cette courbe entre inflation et chômage. Le plein-emploi est par ailleurs impossible à atteindre si l’inflation est maîtrisée. L’histoire donne parfois tort à la courbe de Phillips. La stagflation des années 1970 est marquée par une inflation forte et un taux de chômage élevé. Il existe en effet un taux de chômage structurel (NAIRU, ou taux de chômage naturel chez Friedman) que le marché ne peut réduire seul. Il est autour de 9 % en France.

Des études empiriques ont montré l’importance du régime de change dans le fonctionnement de la courbe de Phillips. La courbe de Phillips traditionnelle s’observe essentiellement en régime de change fixe. En régime de change flottant, l’inflation a un fort effet sur la compétitivité des entreprises. C’est donc désormais un arbitrage entre compétitivité et chômage que doivent effectuer les pouvoirs publics. Une relance de la demande pour faire baisser le chômage entraîne une appréciation du taux de change réel. La compétitivité se dégrade alors selon la courbe de Phillips du taux de change.

Finalement, il est préconisé de faire l’économie de la courbe de Phillips, car elle est obsolète du fait du régime de change flexible. Les économistes ont davantage intérêt à utiliser des études empiriques que des travaux théoriques qui ne sont plus d’actualité.

Chapitre 6 – Les banques centrales s’engagent à passer au vert… clair (par Jézabel Couppey-Soubeyran)

En juin 2020, la Bank of England a communiqué l’empreinte carbone de son bilan. La FED et la BCE ont aussi affirmé le rôle des banques dans la transition énergétique. La finance a le pouvoir de diriger les capitaux vers des fonds verts, non plus vers les énergies fossiles.

Pendant longtemps, la politique monétaire se devait d’être neutre. Néanmoins, les mesures de quantitative easing ont ouvert la voie à la sélection des actifs. Christine Lagarde dénonce même la neutralité monétaire qui ne permet pas d’agir contre le changement climatique. Or, le changement climatique est un enjeu de taille pour la stabilité monétaire. La crise écologique pourrait provoquer une hausse des prix et un ralentissement de l’activité économique. La BCE est donc légitime d’agir en faveur du climat. Des stress tests climatiques sont en train d’être mis au point pour mesurer l’effet du réchauffement climatique sur le bilan des banques et les pertes financières éventuelles engendrées. Les banques centrales ont alors intérêt à agir en faveur du climat pour éviter les risques financiers, l’instabilité monétaire et être en concordance avec les politiques publiques.

Les banques de second rang ont aussi un rôle à jouer. Certaines banques mettent en place des politiques de décarbonation de leur bilan depuis 2019. Elles financent de moins en moins des entreprises d’énergies fossiles. Pour agir significativement, les banques pourraient moduler leur taux de financement en fonction de l’empreinte carbone des activités qu’elles financent. Les banques centrales peuvent aussi verdir le portefeuille d’actifs nécessaire au refinancement des banques commerciales. Enfin, les banques peuvent décider d’acheter exclusivement des actifs verts. Ces mesures ne doivent toutefois pas nuire à l’efficacité de la politique monétaire. L’idéal pour agir contre le changement climatique serait un policy-mix vert. Cela consiste en la monétisation des dépenses publiques liées à la transition énergétique.

Chapitre 7 – Les cryptomonnaies en plein essor : les banques centrales lèvent leurs boucliers ! (Michel Aglietta et Odile Lakomski-Laguerre)

Les cryptomonnaies sont des monnaies privées qui concurrencent les monnaies publiques. Le risque est qu’elles déstabilisent l’ordre monétaire.

L’exemple du Bitcoin

Le Bitcoin repose sur un réseau de particulier à particulier selon la technologie blockchain. Aucune autorité de confiance ne régule cette monnaie, néanmoins les transactions sont authentifiées et sécurisées, et le système est régulé. Le Bitcoin conteste l’autorité monétaire centralisée. La philosophie sous-jacente est d’effectuer des transactions intraçables par l’autorité monétaire. La théorie de Friedrich Hayek dans The Denationalization of Money (1976) a également influencé la création des cryptomonnaies. Il a émis l’idée d’un modèle de monnaies privées concurrentielles sans Banque centrale. Le Bitcoin est cependant plus un actif spéculatif qu’un moyen de paiement. Il constitue une réserve de valeur dans la famille des cryptomonnaies, alors même que sa valeur intrinsèque est nulle. Il est dès lors préférable de qualifier le Bitcoin de « cryptoactif ».

Les entreprises du numérique et les cryptomonnaies

Les entreprises du numérique récoltent les données de leurs utilisateurs pour accroître leurs profits. Le nouveau régime de croissance s’inscrit alors dans un capitalisme informationnel. La création de cryptomonnaies serait une opportunité pour les « Big Tech » de récolter davantage d’informations sur leurs clients et donc d’accumuler plus de profits. Les entreprises transforment une multitude de données insignifiantes individuellement en une immense base de données très prisée. Le problème majeur est que ces données sont utilisées à des fins commerciales, violant la vie privée des individus.

Lorsque Facebook a décidé de créer sa propre cryptomonnaie, « Libra », l’entreprise avait pour ambition de créer une monnaie mondiale convertible en monnaie nationale. Contrairement au Bitcoin, le Libra aurait été adossé à des devises officielles, achetable sur une plateforme et contrôlé par une organisation sans but lucratif. Ce projet menaçait grandement l’utilité des banques centrales. Après les nombreuses actions de ces dernières, Facebook a baissé ses ambitions. Désormais, l’entreprise veut créer le « Diem dollar », monnaie numérique liée au dollar.

Comment réagissent les pouvoirs publics ?

Les pouvoirs publics peinent à réguler les acteurs privés. Alors, créer leur propre monnaie numérique serait une solution pour les concurrencer. Cela permettrait de protéger les données des utilisateurs et de préserver la souveraineté monétaire. Il y aurait une monnaie numérique banque centrale (MNBC) de gros pour les transactions entre institutions financières et une MNBC de détail pour tous les agents économiques. La MNBC de détail serait assimilable à un cash numérique et pourrait favoriser l’inclusion financière. Néanmoins, elle pourrait aussi accentuer le risque d’insolvabilité et d’illiquidité des banques en cas de crise. L’homogénéisation des systèmes juridiques et opérationnels est nécessaire pour que les banques centrales mettent en place de telles monnaies. En 2019, Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada puis de la Banque d’Angleterre, a émis l’idée d’une devise mondiale synthétique. Elle serait adossée aux monnaies numériques des banques centrales du monde entier. Cela réduirait les fluctuations de change et faciliterait les paiements internationaux. Le FMI serait le financeur en dernier ressort multilatéral.