Prix Nobel économie 2021

Le 11 octobre 2021, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, communément appelé prix Nobel d’économie, a récompensé trois spécialistes de l’économie expérimentale : David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens. Pourquoi ces chercheurs ont-ils été récompensés et qu’est-ce que cela dit de l’évolution de l’économie, nous allons le découvrir tout de suite.

Une nouvelle manière de faire de l’économie

Deux ans après avoir récompensé Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer, l’économie expérimentale est de nouveau mise à l’honneur par le prix Nobel. Cependant, là où Duflo menait des expériences par randomisation (on prend deux populations similaires et on applique arbitrairement à l’une une politique particulière), les lauréats de cette année se sont plutôt distingués par leur étude des expériences « naturelles ».

Ils ont été récompensés selon le prix « pour leur contribution méthodologique à l’analyse des relations causales », pour Angrist et Imbens, et pour « ses contributions empiriques à l’économie du travail » pour Card. Les expériences naturelles, ou involontaires, sont des études menées à partir de données issues de situations réelles qui permettent de comparer l’effet d’une politique ou d’un événement sur deux populations similaires.

Le débat soulevé par ces formes d’expériences

Il y a de forts débats épistémologiques et techniques autour de ces deux formes d’expériences et pour savoir si l’une est plus fidèle à la réalité que l’autre. En effet, les biais des expériences en laboratoire ou randomisées ont été maintes fois soulevés, ne serait-ce que parce que l’observation de laboratoire modifie les comportements des agents (« effet Hawthorne »).

Pour autant, les expériences naturelles ne sont pas exemptes de défauts. Comme le souligne Marie Claire Villeval : « Les expériences naturelles posent des défis méthodologiques redoutables car par définition, et à la différence des expériences de laboratoire et de terrain, elles sont rarement reproductibles. » Cela ouvre alors la porte à des défauts d’interprétation de l’expérience, car on ne peut pas la reproduire au besoin.

Mais c’est précisément pour leurs travaux de méthodologie sur les variables instrumentales et sur les chaînes de causalité dans le cadre de telles expériences que Angrist et Imbens ont été récompensés. Ils ont ainsi notamment mis en lumière le lien entre les méthodes statistiques utilisées et l’hétérogénéité des données.

Alors, ces nominations sont-elles une consécration pour l’économie expérimentale ? Certes, et celle d’Esther Duflo en était une aussi. Pour autant, il ne faut pas trop surinterpréter ces évolutions. Effectivement, les sciences économiques semblent basculer progressivement dans l’ère de la donnée et abandonner les modèles purement théoriques (comme le modèle IS-LM), et ce, grâce à l’économie expérimentale. En ce sens, l’économie se rapproche alors des sciences dites dures et de la démarche hypothético-déductive. Cette nouvelle forme que prend l’économie est particulièrement utile pour calibrer les politiques publiques.

Les résultats emblématiques de ces chercheurs

Étude sur le salaire minimum

Un des exemples canoniques d’expérience naturelle est l’analyse par Card & Krueger des effets d’une hausse du salaire minimum (Card & Krueger, Minimum Wages and Employment, 1993). Cette expérience se fonde sur le relèvement du salaire minimum dans le New Jersey (+19 %), alors qu’il reste le même dans l’État voisin de Pennsylvanie.

En étudiant la restauration rapide, les deux chercheurs montrent que la hausse du salaire minimum a augmenté l’emploi. En effet, cela attirait de nouvelles personnes dans le secteur en question sans pour autant pousser à réduire la masse salariale (en volume), car les employeurs fixaient un salaire artificiellement bas en raison de leur pouvoir de monopsone. D’une certaine manière, c’est une confirmation empirique de ce qu’avançait Stigler en 1946 : le salaire minimum a des effets ambivalents sur le niveau du chômage selon le pouvoir de marché des entreprises.

Étude sur l’immigration

Une autre étude canonique de Card (The Impact of the Mariel Boatlift on the Miami Labor Market, 1990) concerne l’influence de l’immigration sur le chômage dans un territoire. On entend souvent que les migrations concourent au chômage de masse et exercent une pression à la baisse sur les salaires, mais Card vient nuancer ces idées reçues. En 1980, 125 000 Cubains sont expulsés par le régime de Castro et près de la moitié rejoignent Miami, on parle de « l’exode de Mariel ».

En étudiant Miami par rapport à des villes aux caractéristiques similaires, Card parvient à montrer que, certes le chômage a brutalement augmenté de 5 % à 7 % entre avril et juillet 1980, mais que, par la suite, il se maintient à un niveau inférieur à celui des quatre autres villes étudiées (3,9 % contre 4,4 %). De plus, cette modification de la population active n’a pas eu d’effet négatif de long terme sur le niveau des salaires.

L’expérience « naturelle » d’Angrist et Krueger

Angrist et Krueger (1991) ont quant à eux utilisé une expérience naturelle pour étudier l’impact d’une année d’étude supplémentaire sur le revenu. Pour ce faire, ils ont comparé des enfants nés en début et des enfants nés en fin d’année car, dans les États-Unis d’alors, l’école était obligatoire jusqu’à un âge précis. Ainsi, les élèves nés en fin d’année faisaient une année d’étude supplémentaire (9 contre 10 ans d’étude). Cette variable leur a ensuite permis de déduire une causalité (et non une simple corrélation) entre année d’étude supplémentaire et revenu accru.

Ces études sont ainsi les exemples les plus fameux de la méthode empirique qu’utilisent ces économistes. Mais au-delà de ces études, c’est l’apport global de ces trois hommes aux sciences économiques que la Banque de Suède met à l’honneur.